a Bible
en vers

Mon cheminement

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Emerveillement ! Non, le mot n’est pas trop fort. Mon histoire débute par un réel émerveillement devant ce fragment de papyrus reproduit ci-contre à sa taille recto verso, qui semble nous faire signe : du jour où je l’ai découvert par hasard dans un magazine, ma quête des papyrus n’a jamais cessé.

Quelques souvenirs de la langue des Hellènes traînant encore dans ma tête depuis mes lointaines humanités, je me précipitai sur un antique évangile en grec que j’avais hérité d’un oncle prêtre décédé il y a bien des années, et dont, je dois l’avouer, je ne faisais pas grand usage jusqu’alors. Il me fallait d’urgence vérifier si les mots figurant sur cette relique du passé étaient bien ceux du texte en ma possession. Lettre après lettre, je reconstituai alors avec émotion les mots ou bouts de mots de ce morceau de manuscrit, rescapés du chapitre 18 de Jean, versets 31 à 33 d’un côté, 37 à 38 de l’autre.

Me penchant ensuite sur l’histoire de ce papyrus, je découvris que les caractéristiques de son écriture permettaient de le dater du règne d’Hadrien (117-138) ou peut-être même de celui de Trajan (98-117). Cette précieuse copie était donc très proche de l’original, puisque l’Evangile de Jean, selon bon nombre de spécialistes, a été écrit vers 90.

Ce merveilleux témoin du passé était donc réel ! Dès lors, de papyrus en papyrus, je me suis mis à vérifier tout ce qui pouvait me tomber sous la main. Déchiffrant chaque manuscrit, caractère après caractère, j’étais parti dans une recherche passionnée. Je décidai de me procurer une grammaire grecque, car il me fallait bien, plus de quarante ans après mes études classiques, rafraîchir mes connaissances, revisiter déclinaisons, aoristes et optatifs. Puis le chemin à suivre me devint évident : il me fallait reconstituer l’ensemble du Nouveau Testament à partir du texte grec, un œil sur ma Bible, un autre sur le papyrus, quand j’en trouvai un, reproduisant scrupuleusement le passage étudié.

Les papyrus se sont mis alors à me confier leurs secrets et l’un de m’avouer : Je ne dis pas la même chose que mon voisin, mais c’est parce que mon copiste, dans son scriptorium, était dur de la feuille et il a mal compris ce qu’on lui dictait. Cet autre m’expliquait : Je n’emploie pas tout à fait les mêmes mots, car ce sont là les expressions de ma région. Cet autre encore me rassurait : Je sais, je me répète. Mon scribe s’était endormi en copiant et il ne savait plus où il en était ! Et il a recopié avec une belle application ce qu’il venait d’écrire, avant que la fatigue le terrasse. Mais tous, dans un bel élan, m’affirmaient : nous racontons tous la même histoire et les variantes, s’il y en a, sont des nuances : ce sont celles de l’Esprit Saint qui a fait qu’en tous lieux et en tous temps les hommes, les femmes comprennent : que celui qui a des oreilles pour entendre entende !

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ΕΦΥΓΟΝ ΟΙ ΔΕ ΚΡΑθΗCΑΝ
ΤΕC ΤΟΝ ΙΝ ΕΦΥΓΟΝ ΟΙ ΔΕ
ΚΡΑΤΗCΑΝΤΕC ΤΟ ΙΝ
ΑΠΗΓΑΗΟΝ ΠΡΟC ΚΑΙΑΦΑ

Fuirent. Mais eux, ayant saisi
Jésus fuirent. Mais eux,
Ayant saisi Jésus
L’emmenèrent chez Caïphe

Cet extrait du Codex Vaticanus (Evangile de Mathieu, chapitre 26, fin du verset 56, début du 57), nous montre un bel exemple de ce que les biblistes appellent dittographie, répétition malencontreuse d’un passage. Au 10ème siècle un correcteur a repris le texte du copiste, restituant l’ordre des mots en accentuant les caractères.

Soit ! Si tous ces authentiques et fidèles messagers des Écrits nous content si évidemment le cheminement de la Bonne Nouvelle, comment se fait-il qu’il y ait tant de traductions exprimant sous des formes si diverses ce qui était si simplement dit ? Je compris alors que la matière divine était là certes, mais que c’était à nous qu’il appartenait de la façonner de la manière qui soit à la fois la plus véridique et la plus compréhensible de tous, de la modeler et de la remodeler sans cesse pour de nouvelles oreilles.

Ma traduction est essentiellement basée sur la TOB, ne serait-ce que parce que dans TOB il y a « œcuménique » (Traduction Œcuménique de la Bible). L’éminence des exégètes qui, après un véritable « travail de bénédictins », se sont accordés sur cette version, me paraissait suffisamment fiable pour que je décide de m’en servir comme base en toute confiance.

Cependant, tout étant affaire de nuances, et le diable se nichant même dans les détails, dit-on, je ne pouvais me défaire d’un étrange sentiment d’insatisfaction devant certaines formulations, les unes me paraissant démodées, les autres inappropriées, voire inexactes. Il me fallait donc consulter d’autres versions, comparer, trancher et construire finalement mon propre texte.

Je me suis, par exemple, longuement interrogé devant ce verset de Matthieu 5 :39 qui, selon bien des versions, nous incite à « ne pas résister au mal » :

  • Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. (TOB et Bible de Louis Segond)
  • Eh bien, moi, je vous dis ne pas tenir tête au méchant. (Bible de Jérusalem)
  • Ne résiste pas au mal. (Bayard)
  • That ye resist not evil (Que vous ne résistiez pas au mal : King James Version)
  • Do not resist an evil person (Ne résistez pas au méchant : New international version)

Devant une si belle unanimité fallait-il s’incliner ? Comment ? Ne pas résister au mal ou au méchant ? Il y a là nécessairement un problème. Mes illustres prédécesseurs n’ont-ils pas « maltraité », dans le verset en question, le verbe Ανθιστημι (Anthistémi) ?

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Saint Jérôme - Peinture de Domenico Ghirlandaio. (1480)

Ce mot, en effet, signifie d’abord, étymologiquement, « se tenir en face » « affronter », et donc « répondre » : ce qui, face à celui qui vous veut du mal, est une réaction naturelle, bien humaine. C’est pourquoi ma traduction est « ne réponds pas », sous-entendu : comme tu serais tenté de le faire instinctivement. Inutile de l’affronter, de le provoquer.

Alors, d’où vient l’erreur ? Sans doute de l’excellent St Jérôme qui, au quatrième siècle, s’est attelé à la traduction en bon latin des manuscrits grecs, car il traduit notre Anthistémi par « resistere ». Connaissant l’influence de l’un des plus illustres Pères de l’Église, nous ne sommes pas étonnés que son « erreur » ait subsisté dans les traductions qui ont suivi.

Mais St Jérôme était-il infaillible ? S’il ne l’était pas, il ne nous est pas interdit d’essayer d’en faire une autre lecture avec un esprit critique… sans être iconoclastes. C’est même un devoir de tenter de faire la lumière sur une version paraissant insatisfaisante.

Reprenons les versets 38 et 39 et découpons-les en trois parties :

Selon la TOB

Vous avez appris qu’il a été dit
Œil pour œil et dent pour dent

Et moi, je vous dis
De ne pas résister au méchant,

Au contraire, si quelqu’un te gifle
Tends-lui aussi l’autre.

Selon la Bible en vers

Vous savez qu’il a été dit :
Œil pour œil, dent pour dent.

Eh bien, moi je vous dis :
Ne réponds pas au méchant,

Et si on te gifle sur la joue droite,
Tends l’autre également.

Les versets des Évangiles, nous le savons, s’enchaînent d’une façon logique et claire, comme des maillons fermement attachés les uns aux autres. C’est le cas ici comme ailleurs :

  • La première partie nous rappelle que la Loi dit : œil pour œil, dent pour dent, c'est-à-dire : réponds au mal par le mal, venge-toi !
  • La deuxième contredit : Jésus dit : Ne réponds pas au méchant, c'est-à-dire : ne te venge pas.
  • La troisième ajoute: Tends l’autre joue, c'est-à-dire : même si on te gifle, ne réponds pas, mais tends même l’autre joue.

Et voilà qu’une version vient à mon secours, celle du Français Courant, que propose avec la TOB l’Alliance Biblique Universelle, car elle dit : Je vous dis de ne pas vous venger de celui qui vous fait du mal. Nous y sommes ! L’enchaînement est là, parfait, limpide, indiscutable : 1 : Vengeance ! 2 : Non ! Pas de vengeance, 3 : Mais Patience !

La nuance existe bien, et je suis persuadé (humblement) que c’est le message que l’évangéliste voulait passer : abandonnons le précepte de la Loi qui incitait à la vengeance (œil pour œil), montrons-nous patients. Et « ne pas répondre » est, en définitive, différent de « ne pas résister ». Il est quand même significatif et réconfortant que, lorsqu’une traduction comme celle du Français Courant se donne la peine de s’écarter, un tant soit peu, de ces versions traditionnelles figées dans le papier bible, et qu’elle s’ingénie à rechercher le véritable sens des mots, elle parvienne à nous donner un texte logique, compréhensible de tous et…crédible !

« Anthistémi » a été le point de départ de mes interrogations, car je venais d’ouvrir la voie à un examen attentif de tout verset me paraissant insuffisamment clair. Vous trouverez dans ma traduction bien d’autres exemples de divergence avec les versions « classiques », car je n’en étais qu’au début de mon travail et, dès lors, plus je progressais dans mon observation attentive du sens précis des mots, plus les questions affluaient.

Comment ces vénérables biblistes ont-ils pu bâtir un tel œcuménisme sur des constructions manifestement erronées ? Comment ont-ils pu faire l’impasse sur l’appel à ne pas se venger exprimé par Mathieu 5 :39 ? Peuvent-ils décemment confondre un verbe actif et un verbe d’état, comme le démontre un autre exemple plus bas ? Pourquoi de telles « imperfections » n’ont-elles pas été corrigées par la suite ?

Bref, où en sommes-nous de la recherche biblique ? Pourquoi, d’un côté, cet étonnant immobilisme des versions classiques, d’un autre côté une nouvelle traduction dite moderne, que je qualifierai de sensationnelle ? Où se trouvent l’enchaînement logique des versets et la belle fluidité qui les caractérise ? Où se trouve surtout le souci du mot, de son étymologie, de sa signification dans un contexte précis ?

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Papyrus P46 (Epître aux Corinthiens) daté entre 175 et 225.

Un même mot grec peut, en effet, avoir des nuances ou, plus précisément, des ramifications qui semblent l’éloigner de sa signification première. Un exemple : « Apeitheia » que l’on retrouve six fois dans les Epîtres, mais avec trois sens sensiblement différents : manque de foi, désobéissance et rébellion. Cet exemple montre bien la richesse d’un terme grec, car ces trois mots traduisent tout aussi bien Apeitheia, et se révèlent exacts selon la situation décrite. Il s’agit seulement d’une question de degré : dérivé de « pistis » (la foi), le mot, au départ, signifie manque de foi ou incrédulité (incredulitas, dit Jérôme), et par la suite l’attitude qui en découle : le manque de foi est un manque de confiance qui, dans certains cas, se manifeste par la désobéissance et qui peut aller jusqu’à la révolte, la rébellion. Ces mots ne sont donc pas synonymes : ils sont seulement apparentés, ils ne sont pas interchangeables et, comme je l’explique dans une note à Hébreux 4 :11, seul le contexte peut nous éclairer sur le choix du terme qui s’impose. Une bonne lecture du passage concerné suffit à nous éclairer. Or, nous avons maintes fois, hélas, cette gênante impression que les versets sont traduits individuellement, sans vue d’ensemble. Bref, le traducteur semble ne pas comprendre.

On sait que lorsque l’idée leur est venue d’une traduction commune, les différents intervenants dans la traduction de la TOB ont décidé de tester leur œcuménisme sur l’Epître aux Romains. S’ils réussissaient à s’accorder sur un texte commun, ils continueraient à œuvrer ensemble. Ce qu’ils ont fait. Mais sont-ils réellement tombés d’accord sur les mêmes mots, la même formulation, sans compromis, sans compromissions ? Ceci me paraît bien étrange, car, s’agissant de cette Epître seule, ma version fait 174 observations et diffère pas moins de 41 fois !

Ces différences d’interprétation que j’avais prises au départ pour de simples nuances m’ont paru d’abord agaçantes, puis elles se sont révélées intrigantes et, pour finir, inquiétantes, car si je les trouvais partout, je remarquais surtout que des passages entiers méritaient d’être revus, dans les Epîtres notamment.

J’ai donc ressenti l’impérieuse nécessité d’aérer une vénérable demeure que le temps avait empoussiérée, de lui apporter un peu d’air frais : les plus antiques institutions en ont besoin parfois. Ce courant d’air n’ébranlera pas l’édifice - ce n’est pas là mon intention – mais il lui apportera un nouvel éclairage : voilà mon souhait.

Inutile d’énumérer ici les différentes raisons qui ont motivé mes 1885 observations de tous ordres : ce sera votre plaisir de les découvrir et de vous y arrêter un instant. Les Écritures sont d’une telle intensité, nous le savons, que leur lecture ne peut être un exercice mécanique : elle se doit de respecter des pauses. Par exemple, entre ces deux versions de Matthieu 8 :7, laquelle faut-il choisir, celle, interrogative, de la TOB qui dit : « Moi, j’irai le guérir ? » ou celle, affirmative, du Français Courant : « J’y vais et je le guérirai » ? Mais je souhaite attirer votre attention particulièrement sur un passage de Jean, et non le moindre, puisqu’il nous parle de la résurrection de Notre Seigneur. Comparons :

Selon la TOB

Il se penche et voit
Les bandelettes
Qui étaient posées là.
Toutefois il n’entra pas.

Arrive à son tour
Simon Pierre qui le suivait.
Il entre dans le tombeau
Et considère
Les bandelettes
Posées là

Et le linge
Qui avait recouvert
La tête.
Celui-ci n’avait pas été déposé
Avec les bandelettes,
Mais il était roulé à part,
Dans un autre endroit

Selon la Bible en vers

Il se penche et aperçoit
Les étoffes de lin
Restées sur place.
Cependant, il n’entre pas.

Arrive, à son tour,
Simon Pierre.
Il entre dans le tombeau
Et contemple
Les étoffes de lin
Restées sur place.

Puis il contemple
Le suaire
Qui avait recouvert
La tête de Jésus.
Il ne se trouve pas
Avec les étoffes de lin :
Il est à part,
Enroulé à sa place

Ce passage n’appelle pas moins de sept observations :

Les étoffes de lin : Le mot utilisé « Othonia » désigne des étoffes de lin et non des bandelettes. L’explication détaillée est donnée dans les annotations de ce passage. De même pour les éléments suivants.
Il n’entre pas : L’emploi du présent semble plus indiqué pour toute la scène
Qui le suivait : Le mot à mot dit : Arrive alors aussi Simon Pierre le suivant : « à son tour » traduit déjà « qui le suivait ». Il est donc inutile d’ajouter « qui le suivait ».
Contemple : le verbe utilisé (Theorein) implique une observation prolongée, comme devant un théâtre.
Restées sur place : Il est important de souligner que Keimena est un verbe d’état, et non d’action. Ce n’est, évidemment, pas la même chose de dire « les étoffes sont restées sur place » que « les bandelettes ont été posées là ».
Le suaire : Soudarion est suaire… tout simplement.
Enroulé : C'est-à-dire naturellement enroulé, non volontairement « roulé »
A sa place : Et non « dans un autre endroit ». Plus haut que les étoffes de lin en fait.

Longue explication peut-être, mais clarification nécessaire : il me fallait souligner et expliquer cette nécessité constante que je ressens du retour aux sources. Aujourd’hui comme toujours, il nous faut regarder attentivement le texte grec, si l’on veut donner sa propre version, d’autant que le texte en question n’est pas un écrit comme les autres, car l’erreur, là, ne pardonne pas… Un œil donc, le meilleur je l’espère, rivé sur le texte grec, l’autre sur les différentes versions avec une fréquente préférence cependant pour la fraîcheur du Français Courant, plus proche du texte, plus clair aussi, mais surtout plus juste bien souvent, je me suis appliqué à naviguer dans les dangereuses eaux de la traduction, d’autant plus périlleuses que je m’étais mis en tête de versifier l’ensemble.

La navigation, on le sait, est une discipline qui requiert une vigilance de chaque instant : il s’agit de garder à la fois le cap et une bonne visibilité, pour éviter les écueils. J’en ai rencontré deux sur ma route. D’un côté l’écueil que je nommerai « liberté », qui m’invitait à prendre le large dans une promenade tranquille, plaisante, à m’éloigner, au risque de perdre de vue l’essentiel et, finalement, de ne plus retrouver ma route vers les côtes sûres du littoral (ou du littéral si vous préférez). De l’autre côté cet écueil que je qualifierai de « scrupule », qui me maintenait dans l’obsession excessive de ce littéral, dans un vain mot à mot m’interdisant de m’écarter d’un iota des lignes grecques, et obscurcissant un cheminement sans perspective dans le domaine de l’incompréhensible. D’une part un texte moderne, mais guère biblique, de l’autre un texte d’une prétendue « simplicité biblique » qui ne veut plus rien dire.

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Papyrus P66 daté du début du 2ème siècle. (Presque tout l’évangile de Jean)

Mon souci a donc été de préserver l’authenticité de l’écriture en gardant un juste milieu (in medio stat virtus), de rester proche d’une part du texte grec dans la fraîcheur biblique de son style dépouillé, de ses phrases courtes, faciles à mémoriser, mais de rester proche aussi du langage de nos jours, avec des tournures plus actuelles, sans pour autant faire preuve d’un modernisme effréné. Il faut, en effet, tenir compte de ce fait incontournable : les temps changent, les mots changent, la vérité ne change pas. C’est donc celle-ci que nous devons toujours avoir à l’esprit, car les nouveaux mots sont délicats et, mal utilisés, ils peuvent même devenir dangereux et la trahir à notre insu. Le Nouveau Testament avance à une cadence différente, selon ses livres, selon ses auteurs. C’était donc une rude tâche que d’en rendre le rythme varié, tout en respectant les mots. Quoi qu’il en soit, je m’étais fixé une ligne directrice limpide : celle d’offrir une version qui soit à la fois claire, agréable et fidèle.

  • Claire tout simplement: sans tournures emberlificotées, essentiellement compréhensible.
  • Agréable, pourquoi pas : il faut qu’on ait envie de la lire et, peut-être surtout, d’y revenir.
  • Fidèle cependant : authentique, crédible, réelle.

Cela, bien évidemment, ne s’est pas fait du jour au lendemain, mais, confiant dans la parole du Christ « Cherchez et vous trouverez », j’ai lu et relu ma version. Chaque fois, je tombais sur un passage méritant d’être revu : tel mot me semblait imprécis, telle tournure paraissait incorrecte, tel verset se devait d’être explicité en bas de page. C’est cela qui est prodigieux dans le Nouveau Testament : lisez-le, relisez-le, et vous y trouverez toujours nouvelle matière à réflexion. Mais comment, dira-t-on, après les savantes exégèses des Pères de l’Église, après toutes les brillantes études qui ont suivi, y aurait-il encore quelque chose à y découvrir ? Mystère… ou bien alors cela témoigne tout simplement de l’incroyable richesse des Écrits et de cette vérité : chacun peut toujours y puiser un message qui lui est destiné.

Telle a été ma démarche. On ne sera peut-être pas toujours d’accord avec ma critique : errare… De la discussion, de la confrontation des idées jaillit la lumière, non pas du consensus nécessairement ou de la recherche d’une voie médiane, car ces deux pistes suggèrent souvent bien des compromis qui finissent en compromissions. Si cet ouvrage suscite non seulement de l’intérêt, mais aussi et surtout des réflexions, des débats, ce sera pour ma plus grande satisfaction.

Bible - Livre de Kells
Détail du livre de Kells (vers 800), contenant les Evangiles.
Un chef-d’œuvre celtique considéré pendant longtemps l’objet le plus précieux d’Occident.

Je remercie bien sûr les éditions citées plus haut pour la solide base de départ qu’elles m’ont fournie. Voici comment je les perçois :

La TOB est précieuse par ses trois facettes, car sur la même page nous trouvons le mot à mot bien utile, la traduction proche du texte (mais pas toujours…), et le Français Courant dont l’appellation peut paraître péjorative, mais dont on ne peut ignorer les nuances. La Bible de Jérusalem et Segond sont des traductions traditionnelles, intéressantes à observer dans leurs désaccords. Quant à Bayard, disons qu’il est audacieux comme le chevalier du même nom. La King James Version est somptueuse et le Chouraqui est précieux. Ma version rejoint tantôt l’une, tantôt l’autre : elles m’ont toutes été utiles. Chacun apporte sa pierre à cet édifice de la traduction biblique qui est toujours en construction, afin que le plus grand nombre, d’une manière ou d’une autre, chacun par le cheminement qui est le sien, ait accès aux paroles de la Bonne Nouvelle.

Une nouvelle pierre, en particulier, est apportée par la Nouvelle Bible Segond parue en 2002 qui, à mon sens, appelle trois observations :

  1. Cette nouvelle édition, intitulé NBS dans les notes (en italique pour la mettre en évidence) renie quelques belles trouvailles de la Bible Segond, d’autant précieuses qu’elles correspondaient à ma version, pour rejoindre les autres, dans une optique que je qualifierai de bibliquement correcte. Ceci est frustrant, car elles correspondaient à une bonne étude du mot grec et au contexte, tout en tenant compte des expressions de nos jours. Bon nombres d’expressions sont copiées, certaines entièrement. Ainsi « les gens de mauvaise vie » redeviennent « pécheurs », le « Royaume » de Dieu devient « Règne », la belle affirmation « mon serviteur sera guéri » se transforme en souhait « que mon serviteur soit guéri ! ». « Artisans d’iniquité » était une formule très correcte. Pourquoi suivre la Bible de Jérusalem avec « vous qui commettez l’injustice » ? « L’évêque » que chacun comprend devient « épiscope ».
  2. Mais j’ai la nette impression que cette révision est surtout basée sur la TOB. Nombre de fois, en effet, la NBS copie cette version. Le correcteur aurait-il participé au travail collectif de révision effectuée par la TOB ? Le refus de croire devient le refus d’obéir, les « sanctifiés » sont « consacrés », le pédagogue se fait surveillant. Mais on trouvera bien d’autres cas.
  3. Plus surprenant, voire choquant, est le glissement sémantique que l’on observe et qui lui est propre. Quatre exemples :
    • Le repentir devient un changement radical
    • Le baptême du repentir devient donc un baptême de changement radical
    • La confession une reconnaissance publique de ses péchés
    • La résurrection un réveil. Ceci, bien sûr, est choquant. Mettons en parallèle les versions :

La Bible en vers

16:6
Il leur dit :
Ne soyez pas effrayées !
Vous cherchez
Jésus de Nazareth,
Le crucifié :
Il est ressuscité.
Il n’est pas ici. Voyez
L’endroit où on l’avait déposé.

16:14
Finalement
Aux onze il se manifesta,
Alors qu’ils prenaient leur repas.
Il leur reprocha leur incrédulité
Et leur insensibilité :
Ils l’avaient vu ressuscité
Et ils n’avaient pas cru !

Bible Segond

16 :6
Il leur dit : Ne vous épouvantez pas ; vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié ; il est ressuscité, il n'est point ici ; voici le lieu où on l'avait mis.

16:14
Enfin, il apparut aux onze, pendant qu'ils étaient à table ; et il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur, parce qu'ils n'avaient pas cru ceux qui l'avaient vu ressuscité.

Nouvelle Bible Segond

16 :6
Il leur dit : Ne vous effrayez pas ; vous cherchez Jésus le Nazaréen, le crucifié ; il s’est réveillé, il n’est pas ici ; voici le lieu où on l’avait mis.

16 :14
Enfin, il se manifesta aux Onze, pendant qu’ils étaient à table, et il leur reprocha sévèrement leur manque de foi et leur obstination, parce qu’ils n’avaient pas cru ceux qui l’avaient vu après son réveil.

La Bible Segond première version était très correcte, dans son ensemble d’ailleurs, et il est permis de se poser la question de l’utilité de sa révision, ici en tous cas. La résurrection, en effet, ne serait qu’un réveil, comme celui auquel on assiste chez un opéré ? Il me semble que c’est faire peu de cas de la belle observation de Paul dans sa première Epître aux Corinthiens :

La Bible en vers

Et si le Christ
N’est pas ressuscité,
Notre prédication
Est dénuée de sens
Et votre foi, elle-même,
N’a pas de sens

Nouvelle Bible Segond

et si le Christ ne s’est pas réveillé, alors notre proclamation est inutile, et votre foi aussi est inutile.

Nous ne pensons pas que la NBS nie la résurrection, mais force est de reconnaître que la formulation, sans doute influencée par les recherches inspirées de traducteurs prétendument modernes, prête à confusion, si elle n’est pas dangereuse : que peut comprendre le profane ?

Mais il ne s’agit pas ici d’accabler la NBS à outrance, car elle nous rejoint quand même bien souvent, dans l’emploi du présent chez Marc par exemple. Pour le reste, sommes toutes, elle fait des choix qui alimentent notre réflexion et elle mérite donc nos remerciements.

Je remercie aussi le séminariste inconnu qui est venu à mon secours un jour dans une librairie : alors que j’éprouvais quelques difficultés à demander l’ouvrage qu’il me fallait, (peut-être d’ailleurs ne savais-je pas trop ce que je voulais : j’étais au début de mes recherches), j’ai soudain entendu une voix près de moi qui me disait : Demandez la TOB, c’est ce qu’il vous faut. Je n’ai jamais revu ce jeune homme. Qu’il trouve ici mes remerciements. Les voies du Seigneur sont impénétrables.

Je remercie, et c’est la moindre des choses, tous ceux qui m’ont accompagné dans mon laborieux cheminement. Je leur donne la place qu’ils méritent au début de cet ouvrage. Eux aussi ont su se montrer clairs, agréables et fidèles.

Ma manière est en vers. Pourquoi ? L’idée m’en est venue à la vue de ces versets évangéliques courts, rythmés, simples, clairs, à l’écoute de ces mots répétés toujours et toujours, comme une ritournelle musicale qui facilement se mémorise. Je me suis alors dit : pourquoi pas en vers? Car ce procédé littéraire s’est imposé à moi comme étant le meilleur moyen de restituer ce que le jésuite Marcel Jousse appelle si justement « les rythmes de la respiration ».

Bible latine de Petrus Riga
Aurora, la bible latine en vers de Petrus Riga (1200)

La versification est une autre écriture, une autre vision, une autre restitution du Nouveau Testament. Elle vise à retrouver l’harmonie originelle du texte, et elle est précieuse, à mon avis, dans la mesure où elle suit le rythme des versets, leur petite musique avec la répétition des mots, leur simplicité, leur enchaînement limpide. Elle est un atout, puisqu’elle sert l’idée essentielle qui doit être l’obsession de tout traducteur, celle de restituer la nature de l’écrit dans sa simplicité, son authenticité : en lui restant, surtout et avant tout, fidèle.

Je ne prétends pas « faire du Victor Hugo ». Les vers sont libres et ne riment pas toujours. Homme rime avec femme, lumière avec ténèbres, le jour avec la nuit. Parfois la rime est dans le vers lui-même. Plutôt qu’une poésie, c’est la récitation mélodieuse des premiers temps, où reviennent sans cesse en bout de verset des notions comme la foi, la justice, l’amour, la vie éternelle, mais aussi les acteurs, Jésus d’abord, bien sûr, les apôtres, les Pharisiens, les Sadducéens, les hypocrites, la foule, etc. Quant à Dieu… il est partout.

Car la rime parfaite présentait un réel danger. Mes premières ébauches me l’ont prouvé amplement : la recherche de la beauté de la rime, pendant un moment, m’a éloigné du sens, des côtes sûres du littéral que j’évoque plus haut. Force m’était de revoir ma copie, de me libérer de la tyrannie de la rime à tout prix. Il me fallait ne jamais sacrifier le sens à la rime, le mot exact à la rime adéquate, l’esthétique à l’authentique, et, en définitive, Vers et Versets, dans la version que je présente aujourd’hui, est peut-être davantage rythme que rimes. Si ce moyen d’expression attire de nouveaux lecteurs vers la découverte du Nouveau Testament, tant mieux ! La versification permettra aux autres de redécouvrir des textes qu’ils croyaient connaître. Cela a été mon cas, en toute humilité.