a Bible
en vers

La Parole ne conduit pas uniquement sur la voie d’une mystique individuelle, mais elle nous introduit dans la communauté de tous ceux qui cheminent dans la foi. C’est pourquoi il faut non seulement réfléchir sur la Parole, mais également la lire de façon juste...

La Parole de Dieu, en effet, n’est jamais simplement présente dans la seule littéralité du texte. Pour l’atteindre, il faut un dépassement et un processus de compréhension qui se laisse guider par le mouvement intérieur de l’ensemble des textes et, à partir de là, doit devenir également un processus vital.

(Discours du Pape Benoît XVI au Collège des Bernardins, Paris, le vendredi 12 septembre 2008)

La Bible liturgique et la Bible en vers

La parution d’une nouvelle traduction de la Bible est toujours un grand évènement et les biblistes, exégètes et théologiens, ne manquent pas de s’y intéresser. Mais pas eux seulement : la bible, je ne le dirai jamais assez, appartient à chacun, et il n’est pas interdit au profane d’y jeter un regard critique. La lecture des Ecrits n’implique pas une soumission aveugle à la chose écrite. Elle requiert plutôt notre adhésion à tous, à tous les niveaux, soyons-nous versés dans la science biblique ou simplement en quête de vérité. Or cette vérité doit être claire, précise et accessible. C’est pourquoi, m’efforçant de scruter toujours de plus près le texte grec des Evangiles en particulier, je vous propose de faire un tour d’horizon de deux ouvrages récemment parus, de la Bible Liturgique et de la Bible en vers.

D’entrée, je vous le dis, la traduction de la Bible Liturgique me paraît excellente ... ceci d’autant qu’elle conforte ma propre version d’une manière générale, et nous verrons sur quels points précisément je me trouve d’accord avec elle contre la traduction de la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible), qui, je cite les Editions du Cerf, « publiée en 1975, a marqué un tournant dans la longue histoire de la traduction de la Bible. Pour la première fois au monde, des biblistes catholiques, protestants et orthodoxes travaillaient ensemble pour produire une traduction moderne et une annotation dont la fiabilité et le sérieux sont aujourd’hui reconnus par tous. » Je précise que la nouvelle version 2010 n’apporte guère de modifications, concernant le Nouveau Testament.

Je commencerai par les passages importants où ma version diverge de la Bible Liturgique, préférant terminer sur une bonne note, car mes points d’accord sont plus nombreux, et je m’en réjouis : bien évidemment toutes les traductions qui vont vers la restitution fidèle du message initial vont dans le bon sens, surtout lorsqu’elles sont exprimées d’une façon claire et agréable.

Je me contenterai de comparer la Bible liturgique (BL), la Bible en vers (BV) et la TOB. Ceci pour ne pas alourdir le texte, et aussi parce que des explications détaillées se trouvent dans ma version, que je vous invite à consulter. Comparée à la TOB, elle indique en note mes divergences avec elle et mes points d’accord avec d’autres versions par contre. La mention (TOB) figurera à la suite de la traduction avec laquelle elle est en accord, sinon mot à mot, du moins dans l’esprit, NTOB (Nouvelle TOB édition 2010) dans les commentaires lorsque sa version diffère de la précédente, ou qu’elle présente une note intéressante.

Je n’aborderai ici que les Evangiles. J’ai bien relevé plusieurs passages de la suite, qui mériteraient approfondissement. Mais leur développement occuperait trop de place ici et je considère que l’essentiel est de vous communiquer l’esprit de la Bible en Vers.

Quelques mauvaises surprises

BL : Et ne nous laisse pas entrer en tentation. (Mt 6 :13)
BV : Ne nous soumets point à la tentation, (TOB)

La traduction BL est inspirée manifestement par des considérations dogmatiques : Dieu ne peut pas nous tenter ! Mais le grec dit clairement : « Mè eisenegkès » (Ne nous emporte pas).

BL : Malheureuse es-tu Corazine ! (Mt 11 :21) (TOB)
BV : Chorazin, malheur à toi !

« Ouai », qui correspond au « Vae » latin est une imprécation latine fréquente : Malheur à...D’ailleurs la Vulgate dit bien : Vae tibi, Chorazin !

BL : Désormais vous pouvez dormir et vous reposer. (Mt 26 :45) (TOB)
BV : Vous continuez à dormir et à vous reposer !

Le texte grec, on le sait, n’était pas ponctué et il importe ici de rendre la surprise du Christ par un point exclamation. Son absence change évidemment le sens. D’autres versions préfèrent un point d’interrogation. Pourquoi pas ?

BL : Tu es le Christ. (Mc 8 :29) (TOB)
BV : Tu es le Messie.

La difficulté vient du fait que le « Christos » grec peut être traduit par le Christ ou le Messie, selon le contexte. Or il est clairement expliqué que le Christ est le Messie attendu. C’est ce que le Christ veut faire dire à ses disciples. Notons que BL manque de cohérence, puisque dans une situation semblable (Lc 9 :20) elle traduit correctement par Messie.

BL : Beaucoup de premiers seront derniers, et les derniers seront les premiers. (Mc 10 :31) (TOB)
BV : Beaucoup de premiers seront derniers, et beaucoup de derniers seront premiers.

« Beaucoup » doit être répété : « Polloi » en début du verset s’applique à l’ensemble.

BL : On racontait tous ces évènements. (Lc 1 :65) (TOB)
BV : Toutes ces paroles furent répétées.

« Rhemata » pose problème aux traducteurs qui le rendent soit par : ces choses ou ces évènements. « Rhemata » signifie bien pourtant, et simplement, tout ce qu’on dit, les mots, les paroles (dictionnaire Bailly). Mot à mot : toutes ces paroles étaient colportées. Le verset suivant le confirme. La Vulgate suit le texte grec avec « omnia verba haec » : toutes ces paroles. Bonne traduction également dans la Bible Chouraqui : tous ces dires sont rapportés. Notons que chaque fois que nous trouvons « rhemata » , c’est à la suite d’un message.

BL : Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? (Lc 2 :49) (TOB)
BV : Il est nécessaire que je m’occupe des affaires de mon Père, l’ignoriez-vous ?

Mot à mot : il me faut être dans les choses de mon Père. Et non chez mon Père. NTOB porte en note : « Chez mon Père » Jn 2.16. Or les deux passages sont nullement comparables, car nous avons « en tois » chez Luc, et « ton oikon » la maison (de mon Père).

BL : Et pendant que la voix se faisait entendre… (Lc 9 :36) (TOB)
BV : Après que la voix eut retenti

Il s’agit d’une construction particulière à Luc (« En to » suivi d’un infinitif passé). Le sens est bien clair si on considère la suite : Il n’y eut plus que Jésus. Il était seul.

BL : Pendant que Jésus parlait, un pharisien l’invita… (Lc 11 :37) (TOB)
BV : Quand il eut fini de parler, un Pharisien vint l’inviter…

Même construction de Luc que précédemment. On s’imagine mal le Pharisien interrompre Jésus pour l’inviter !

BL : En effet, voici que le règne de Dieu est au milieu de vous. (Lc 17 :21) (TOB)
BV : Car le Royaume de Dieu se trouve en vous déjà.

Et non pas « parmi » ou « au milieu de » de toutes les versions. « Εntos » qu’on ne trouve que deux fois dans le Nouveau Testament, ici et dans Mt 23 :26 (le dedans de la coupe par opposition à l’extérieur) signifie bien au dedans, à l’intérieur. Les évangélistes utilisent toujours « en », « para », « pros » ou « en meso » pour exprimer la notion de « parmi ». La Vulgate dit bien : « intra vos ». « Déjà » pour rendre « idou » : voici que. Nuance importante.

Il semble bien que cette notion de Dieu intérieur gêne, car la TOB nous dit en note : « On traduit parfois en vous, mais cette traduction a l’inconvénient de faire du Règne de Dieu une réalité seulement intérieure et privée. » En définitive, cette présence divine intérieure semble déranger. D’aucuns redoutent que le chrétien, concentré sur son Dieu intérieur, décide de se passer d’institutions, de ne pas vouloir d’un Dieu institutionnalisé. C’est alors négliger le sens même des paraboles, c’est aussi ne pas vouloir reconnaître que Dieu est en nous aussi. Ou alors pire, admettre cette présence intérieure… à la rigueur, car c’est ainsi que j’interprète le seulement de la note de la TOB.

NTOB, de nouveau, fait étrangement référence à un passage précédent (11 :20) : Alors le Royaume de Dieu chez vous est déjà arrivé, ou nous avons « eph’umas » (chez vous) et non « entos ». Et elle supprime le commentaire de sa version précédente.

BL : Alors Jésus dit à son sujet… (Lc 19 :9) (TOB)
BV : Alors Jésus lui dit

La TOB n’est pas logique, car dans son mot à mot elle dit bien : Jésus lui dit. Zachée vient de s’adresser à lui et Jésus, bien naturellement, lui répond. C’est ce que comprennent toutes les autres versions.

BL : Pourtant aucun ne lui dit : Que cherches-tu ? ou bien : Pourquoi parles-tu avec elle ? (Jn 4 :27) (TOB)
BV : Mais aucun d’eux ne lui demanda : Que cherches-tu ? ou : De quoi parles-tu avec cette femme ?

La difficulté vient du fait que le grec « ti » peut signifier aussi bien « quoi ? », « que » ? que « pourquoi ? ». Nous avons ici une nouvelle incohérence chez la TOB qui, dans son mot à mot, traduit bien les deux « ti » de la phrase par « que ? » : que cherches-tu ? Que dis-tu avec elle ? C’est manifestement le sens que l’on doit donner au verset, car peut-on imaginer que les disciples demandent au Christ pourquoi il parle avec cette femme ?

BL : Sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Ecriture s’accomplisse jusqu’au bout… (TOB)
BV : Sachant que tout était accompli, il dit : J’ai soif, et ainsi l’Ecriture fut accomplie... (Jn 19 :28)

Il m’apparaît important de mettre ici en parallèle les deux accomplissements, comme le fait le grec avec deux fois le verbe « teleo ». Le style des Evangiles est purement oral, fait de répétitions, de formules aisément mémorisables, et il nous faut restituer, autant que c’est possible, cet aspect original … et originel. Retour aux sources, voilà toute la philosophie de la Bible en vers. Une seule version respecte cette écriture, celle d’André Chouraqui qui, on le sait, est proche du texte.

Plusieurs bonnes surprises

Je fais figurer en gras les passages où nous trouvons des traductions semblables, souvent même identiques, dans la Bible Liturgique et la Bible en Vers, avec cette particularité que ces deux versions sont d’accord également… pour être en désaccord avec la TOB..

BL : Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant. (Mt 5 :39)
BV : Eh bien, moi je vous dis : Ne réponds pas au méchant,

Avant de signifier résister, le verbe « Antisthemi » a le sens littéral de se placer en face, donc : faire face, affronter, provoquer. La TOB, en écrivant « de ne pas résister au méchant », ne commet-elle pas un contresens ? La version de la Bible de Jérusalem est bien préférable avec « de ne pas tenir tête au méchant », et celle du Français Courant, plus encore, avec « de ne pas vous venger », car l’idée exprimée au verset précédent est bien une idée de vengeance : Vous savez qu’il a été dit : œil pour œil, dent pour dent. Un théologien, Bernard Quelquejeu, donne une excellente traduction avec : ne résistez pas au Mal par la violence.

C’est la surprenante traduction de la TOB de ce verset qui a suscité chez moi une étude attentive de tout le texte grec. Je n’étais pas au bout de mes surprises…

BL : Jésus lui dit : Je vais aller moi-même le guérir. (Mt 8 :7)
BV : Jésus lui dit : Je vais le guérir,

La TOB : Moi, j’irai le guérir ? Pourquoi cette interrogation, que l’on trouve aussi chez Bayard ? Tous les autres expriment ce verset par l’affirmative, ce qui est plus logique.

BL : Quand on vous persécutera dans une ville… (Mt 10 :23)
BV : Si l’on vous persécute dans une ville,

Plutôt que pourchasse. Le contexte montre qu’il s’agit bien de persécutions.

BL : Seigneur, prends pitié de mon fils. Il est épileptique(Mt 17 :15)
BV : Seigneur, aie pitié de mon fils épileptique !

Curieusement, la NTOB conserve sa traduction « lunatique », bien que notant : la description des symptômes de la maladie fait penser à l’épilepsie, affection que l’on a cru longtemps liée aux phases de la lune.

BL : Je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. (Mt 18 :32)
BV : Je t’avais remis ce que tu me devais, parce que tu me suppliais.

Simplement, et non « tu m’en suppliais ». « En » ne se trouve pas dans le texte. Le serviteur suppliait son maître d’être patient, non pas de lui remettre sa dette, comme le comprend la TOB et d’autres. Le maître a fait plus qu’il lui était demandé. Par contre la Bible de Jérusalem et Bayard sont corrects.

BL : Cinq d’entre elles étaient insouciantes, (Mt 25 :2)
BV : Or cinq d’entre elles étaient étourdies,

Comme Bayard, ou « imprévoyantes » (Français Courant), plutôt que « insensées » (TOB), « folles » ou « sottes » chez d’autres. La parabole met bien en parallèles l’imprévoyance de cinq jeunes filles et la prévoyance de cinq autres.

BL : Son maître lui répliqua : Serviteur mauvais et paresseux, (Mt 25 :26)
BV : Mais le maître lui dit: Serviteur mauvais, serviteur fainéant,

L’adjectif okneros signifie d’abord lent, nonchalant, fainéant, timoré ensuite (TOB). Ce second sens dérivé ne correspond manifestement pas au contexte.

BL : C’est toi-même qui l’as dit ! (Mt 26 :25)
BV : Jésus lui répondit : C’est toi qui le dis !

C’est toi qui le dis (comme le Français Courant). Plus expressif que « Tu l’as dit » de la TOB et d’autres. Nous disposons dans notre langue des gallicismes dont il serait bien dommage de se priver !

BL : Tous étaient frappés de stupeur (Mc 2 :12)
BV : L’homme sortit devant tout ce monde stupéfait

Le verbe ici signifie « mettre hors de soi », « rendre immobile de stupeur », « étonner » plus que « bouleverser » selon TOB à la différence de tous les autres. Il faut dire que le spectacle du paralytique qui, tout d’un coup, se lève et prend son grabat a de quoi stupéfier !

BL : Ceux-ci entendent la Parole, mais les soucis du monde… (Mc 4 :18-19)
BV : Ils entendent la Parole. Toutefois, les préoccupations du siècle…

La TOB commet un énorme contre-sens, en disant : D'autres sont ensemencés dans les épines : ce sont ceux qui ont entendu la Parole, mais les soucis du monde… Tous en fait, entendent. La Parole : Le mot à mot est : ceux-ci sont ceux entendant la Parole, mais…

BL : A quoi bon déranger encore le Maître ? (Mc 5 :35)
BV : Inutile de déranger le Maître !

« Ennuyer » de la TOB semble peu approprié. Il s’agit d’éviter au Christ un déplacement, qu’il se dérange.

BL : Jésus leur ordonna de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu (Mc 9 :9)
BV : Jésus leur intima de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu,

Il ne s’agit pas d’une simple recommandation : c’est un ordre. La Bible de Jérusalem, d’ailleurs, dit : il leur ordonna. La TOB est incohérente avec « Il leur recommanda », puisqu’au verset suivant elle dit bien : ils observèrent cet ordre.

BL : Heureuse à celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur.
BV : Bienheureuse es-tu, car tu as cru que l’annonce du Seigneur s’accomplira. (Lc 1 :45)

Le mot à mot nous dit : bienheureuse celle qui a cru qu’aura lieu l’accomplissement des choses qui lui ont été dites par le Seigneur. La plupart des versions suivent le texte. La TOB s’en éloigne : Bienheureuse celle qui a cru : ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s’accomplira. Ce n’est pas la même chose, car la TOB traduit « oti » par deux points (:), avec donc le sens de « parce que », alors que « oti » suit directement « pisteusasa » et signifie donc que (ayant cru que). La Nouvelle Bible Segond fait la même interprétation : « Heureuse celle qui a cru, car ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira ! ». Elle indique, cependant, en note : autre traduction qui a cru que ce qui lui a été dit... Il s’agit donc bien de deux traductions différentes, mais l’acte de foi total n’est exprimé que dans la première formulation.

BL : Es-tu venu pour nous perdre ? (Lc 4 :34)
BV : Es-tu venu pour notre perte ?

Sur le mode interrogatif plutôt, comme la plupart. Nous savons que la ponctuation n’existait pas dans les manuscrits et il nous appartient d’interpréter le texte selon le contexte. Ici l’interrogation semble bien plus appropriée. Notons que la Nouvelle Bible Segond change sa version en interrogation. La Nouvelle TOB ne le fait pas.

BL : Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur (Lc 5 :8)
BV : Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je ne suis qu’un pécheur !

Comme tous, sauf la TOB : un coupable. « Amartolos » signifie bien « coupable », mais dans le Nouveau Testament ce mot est plus précisément « pécheur ». La Vulgate : homo peccator.

BL : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. (Lc 9 :36)
BV : Soyez miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux.

Miséricordieux, comme la plupart. C’est le sens de « oiktirmones ». Mais la TOB nous dit « généreux ». On ne peut qu’être perplexe devant les changements opérés dans certaines versions. Ainsi la Bible Segond qui, en 1910, disait correctement « miséricordieux », change en « magnanimes » en 2002. Pourquoi ?

BL : Faites-vous des bourses qui ne s’usent pas, un trésor inépuisable dans les cieux, (Lc 12 :33)
BV : Faites-vous dans les cieux des bourses inusables, un trésor inépuisable,

« Anekleipton » signifie inépuisable, sans fin, perpétuel. La Bible de Jérusalem dit: qui ne vous fera pas défaut. Le contexte montre bien que nous ne manquerons de rien. Il suffit de voir les versets précédents.

BL : Ainsi, quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, mets tout en œuvre pour t’arranger avec lui, (Lc 12 :58)
BV : Ainsi, quand tu vas avec ton adversaire chez le magistrat, efforce-toi de trouver avec lui un arrangement

D’autres versions, correctement, ont « te réconcilier avec lui ». Le mot à mot suivi par la Bible et la TOB : « de te dégager de lui » suggère le contraire, comme la Bible de Jérusalem avec : « d’en finir avec lui ». Toutes deux prêtent à confusion, car elles suggèrent que nous devons nous débarrasser de notre adversaire. En fait, il s’agit d’une mauvaise interprétation du verbe « apallasso » qui, effectivement, signifie « se dégager de » « se délivrer de », mais qu’il faut prendre ici au sens figuré : se délivrer de ses obligations, s’affranchir.

BL : Tous ses amis, ainsi que les femmes qui le suivaient depuis la Galilée, se tenaient plus loin pour regarder. (Lc 23 :49)
BV : Tous ses amis, en compagnie des femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée, se tenaient en retrait et regardaient.

Tous, et non les femmes seulement selon la traduction de la TOB, de la Bible de Jérusalem ou Bayard. La confusion vient de « orosaï » que la TOB, dans son mot à mot, traduit par « voyant » qu’elle rattache aux femmes, comme la Vulgate qui prend ce mot également pour un participe présent (videntes), alors que ce mot est un infinitif et signifie « pour voir ». Le mot à mot est bien : se tenaient à distance tous ses amis et les femmes, celles l’ayant suivi depuis la Galilée, pour voir cela.

BL : Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé. (Lc 24 :12)
BV : Il s’en retourna chez lui, tout étonné de ce qui était arrivé.

Plutôt que : il s’en alla de son côté (TOB). Traduction unique dans ce cas et étrange, d’autant que son mot à mot dit bien « chez lui ».

BL : Dieu, personne ne l’a jamais vu. Le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. (Jn 1 :18)
BV : Personne n’a jamais vu Dieu. Le Fils unique, qui est Dieu et demeure dans le sein du Père, nous a fait connaître Dieu.

Diverses traductions. La TOB : Dieu fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. La Bible de Jérusalem : le Fils unique, qui est tourné vers le sein du Père, lui, l’a fait connaître. Segond : le Fils unique, qui est dans le sein du Père, est celui qui l’a fait connaître. Seul le Français Courant apporte la nuance de avec : Mais le Fils unique, qui est Dieu et demeure auprès du Père, lui seul l’a fait connaître.

BL : Jésus, lui, ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous. (Jn 2 :24)
BV : Mais Jésus les connaissait, et il ne se fiait pas à eux.

Les autres : il ne leur faisait pas confiance. La formulation de la TOB surprend : il ne croyait pas en eux : Jésus croit en l’homme. Il est méfiant quant à la solidité de notre foi.

BL : A moins de naître d’en haut, on ne peut voir le Royaume de Dieu. (Jn 3 :3)
BV : A moins de naître d’en haut, nul ne peut voir le Royaume de Dieu.

« Anothen »: « d’en haut », comme la suite le dit clairement, et non pas « de nouveau ». Comme la Bible de Jérusalem et Bayard, la TOB, traduit ce premier « Anothen » par « de nouveau » et traduira plus loin le second au verset 7 par « d’en haut », car l’explication donnée par Jésus au verset 6 impose cette traduction. Le Français Courant persiste avec « de nouveau ». Segond également, mais nous dit en note : le terme grec peut signifier d’en haut. Un choix s’impose...

BL : Celui qui refuse de croire le Fils ne verra pas la vie, (Jn 3 :36)
BV : Celui qui refuse de croire au Fils ne verra pas cette vie éternelle,

« Apeithon »: refusant de croire. Comme la plupart des versions : celui qui ne croit pas. Mais la TOB dit : celui qui n’obéit pas, version que suit finalement la Nouvelle Bible Segond, (victime du suivisme !) : celui qui refuse d’obéir. L’opposition apparaît pourtant bien entre croire et ne pas croire.

BL : D’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. (Jn 4 :38)
BV : Ce sont d’autres qui ont mis leur peine, et c’est vous qui profitez de leur peine.

Vous profitez comme le Français Courant et Bayard. La TOB n’est pas claire : « vous avez pénétré dans ce qui leur a coûté tant de peine ». Segond ne l’est pas davantage : « vous êtes entrés dans leur travail ». La Bible de Jérusalem prête à confusion : « vous héritez de leur fatigue », ce qui donnerait à penser : vous serez fatigués aussi. Le sens de ce passage est pourtant évident : l’un travaille et l’autre en profite. La Nouvelle Bible Segond corrige d’ailleurs : et vous, vous êtes arrivés pour recueillir le fruit de leur travail.

BL : Jésus les aima jusqu’au bout. (Jn 13 :1)
BV : Ceux-là qu’il aima jusqu’à la fin.

« Eis Telos »: jusqu’à la fin, comme le Français Courant et la Bible de Jérusalem. Tout au long du Nouveau Testament, les traducteurs ont un problème avec ce « telos ». Prenons donc un bon dictionnaire grec, le Bailly par exemple. Voici ce qu’il nous dit pour « telos » : 1. achèvement, accomplissement, 2. résultat, conséquence, 3. fin, terme. Deux notions principales donc : jusqu’à la perfection ou jusqu’au bout. Deux idées similaires, du moins dans la formulation, et il importe de déterminer, selon le contexte, si le caractère extrême concerne une fin dans l’aboutissement ou une fin dans le temps. La TOB et Bayard choisissent : jusqu’à l’extrême, Segond : mit le comble, mais corrige dans sa version révisée avec : jusqu’au bout. « Eis telos » semble bien avoir ici le sens de jusqu’à la fin, jusqu’au bout de son existence terrestre, puisque Jésus évoque son départ.

BL : Vous le connaissez (le Paraclet), car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. (14 :17)
BV : Mais vous le connaissez, vous, parce qu’il a établi auprès de vous sa demeure et qu’il restera en vous.

Comme la Bible de Jérusalem, la TOB met le verbe au présent, alors que le grec dit bien « estai » (sera). Il s’agit clairement du développement du verset précédent : 14:16 Je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous à jamais. Le plus étrange, c’est que sous « estai », dans son mot à mot la TOB écrit « est ». Pour sa défense, on peut dire que certains papyrus comportent « esti » (est), mais il s’agit de manuscrits plus récents, donc moins fiable. Le papyrus P66, très ancien puisqu’il date de 150 et peut-être avant, comporte le verbe au futur, comme le Codex Sinaïticus. Erreurs de transcription répétées de copiste en copiste ? C’est fort possible, car la différence est vraiment minuscule entre le verbe au futur et au présent : « estai » et « esti ».

Cette explication est là pour vous montrer que l’étude du texte grec est passionnante : c’est un travail d’enquête minutieux et la recherche de la vérité est toujours gratifiante.

BL : Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous. (Jn 14 :25)
BV : Je vous dis cela, tant que je suis encore là.

Plutôt que : je vous ai dit cela, tandis que je demeurais auprès de vous (TOB). Au présent, car, lorsque Jésus ne sera plus là (futur), le Paraclet interviendra (verset suivant). Le mot à mot, il est vrai, est sujet à interprétation : j’ai dit cela demeurant auprès de vous. Le texte grec est souvent succinct et, pour bien le traduire, il est nécessaire de comprendre non seulement le verset, mais ceux qui l’entourent. N’oublions pas le contexte !

En conclusion

Grande est ma satisfaction de voir ma propre traduction confortée par celle de la Bible Liturgique sur bien des points. C’est toujours rassurant, car travaillant seul, je suis bien évidemment ravi de voir entériné le résultat de mes recherches (mes intuitions ?). A l’issue de ce petit voyage dans les Evangiles, je peux maintenant avouer que j’étais plutôt sceptique au départ, car je m’attendais à voir cette nouvelle version reproduire les errements de la TOB. Celle-ci, en effet, dans sa récente version (2010) ne corrige presque rien. Un phénomène que j’ai toujours bien du mal à comprendre.

En définitive, toute traduction est bonne, dans la mesure où elle suscite la réflexion. A condition de respecter le texte et de ne pas vouloir faire dire aux mots ce qu’ils ne veulent pas dire ! Les mots sont vivants. Ils sont même un peu susceptibles. Chargés de lumière, ils dispensent des rayons si lumineux et pour eux si évidents qu’ils n’admettent pas d’être bousculés, maltraités, trahis par un traducteur malhabile ou, pire, négligent. Ils réagissent alors toujours de la même manière : ils font en sorte que les mots intrus, virus indésirables, obscurcissent la traduction, brouillent l’image, rendent le message inaudible.

Il nous faut donc prendre bien soin de nos mots, les respecter, capter toute leur lumière, saisir toutes leurs nuances, nous plonger dans leur environnement. Puisons dans cette source originelle pour … éclairer notre texte. Tout simplement.

Bénéficiant d’un nouvel éclairage, chacun pourra alors, en toute confiance s’initier aux Ecritures, ou les approfondir selon son degré de cheminement. L’essentiel est pour tous de connaître clairement la Parole de Dieu, fût-ce en poussant une porte « en vers ».